Le conflit du Yemen : Compréhension et explication
Depuis plusieurs mois, sévit au Yémen un conflit, d’abord interne, ensuite sous-
régional. Ce conflit semblait éloigné des préoccupations de l’immense majorité des
Sénégalais et des Africains. Il ne l’est plus depuis le 4 mai 2015, date à laquelle, par
une déclaration de son Président de la République lue devant le Parlement par le
Ministre des Affaires Etrangères, le Sénégal a pris la décision de répondre
favorablement à la demande de soutien du Gouvernement saoudien, lui-même,
volant au secours d’une des parties au conflit yéménite et anticipant la défense de ses
intérêts vitaux.
Aussi, comme beaucoup de nos compatriotes, nous avons tenté de comprendre et
d’expliquer les tenants et les aboutissants de ce conflit, qui ne nous est plus étranger.
Quelles sont les parties qui se battent ?
Le Yémen, comme presque tous les pays du Golfe Arabique, est composé de plusieurs
tribus, parfois rivales, parfois alliées. Jusqu’à la révolution républicaine de 1962, le
pays, qui s’appelait Royaume mutawakkilite du Yémen, était dirigé par un Imam
chiite zaydite, auquel se soumettaient les tribus.
La révolution de 1962 met fin à l’imamat. Les militaires dirigent le pays, qui prend le
nom de République arabe du Yémen, communément appelé aussi Yémen du Nord.
L’Imam se retire dans son fief de Saada, au nord-ouest du pays. Une guerre civile
s’installe et dure jusqu’en 1970.
Quant à la partie sud de l’actuel Yémen, elle correspond à l’ancienne colonie
britannique formée autour du port d’Aden. Après le départ des britanniques, la
Fédération d’Arabie du Sud et le Protectorat d’Arabie du Sud se regroupent en 1967
pour former un nouvel État indépendant, la République démocratique populaire du
Yémen, communément appelée Yémen du Sud. A l’époque de la Guerre Froide, le
Yémen du Sud, était marxiste et prosoviétique, alors que le Yémen du Nord était
proche de l’Arabie Saoudite.
En 1990, à la faveur de la fin de la Guerre Froide, le Yémen du Nord et le Yémen du
Sud procèdent à l’unification du pays et forme la République du Yémen actuelle.
Cette unification s’est faite sous la houlette du Président Ali Abdallah Saleh, l’ancien
président du Yémen du nord, devenu président du Yémen unifié jusqu’à ce qu’il soit
contraint d’abandonner le pouvoir en 2012, à la suite du « printemps arabe »
yéménite. Il est remplacé par son Premier Ministre, Abd Rabo Mansour Hadi, qui a
pris ses distances avec lui.
L’origine immédiate du conflit actuel est une insurrection appelée « insurrection
houthiste », qui tire son nom de son leader Abdul-Malik al-Houthi.
Les Houthis sont issus du courant religieux chiite zaydite, différents à certains égards,
au niveau du dogme, du chiisme duodécimain iranien. Ils sont présents sur les hauts
plateaux yéménites et notamment la province de Saada. A tort ou à raison, ils se
sentent marginalisés sur le plan politique, économique et religieux, par le pouvoir
central, depuis 1962. L’Iran est soupçonné de les soutenir, mais l’Iran dément.
La guerre civile yéménite actuelle, oppose donc une insurrection chiite houthi au
gouvernement d’Abd Rabo Mansour Hadi, élu en 2012 à la suite de la révolution
yéménite et du départ du président Ali Abdallah Saleh. Ce dernier soutient, du reste,
l’insurrection.
Les phases marquantes de cette insurrection, pour l’opinion internationale, sont :
– en septembre 2014, l’attaque de Sanaa, la capitale, et la prise par les
– la prise du Palais présidentiel en janvier 2015 et l’occupation du pouvoir
– la dénonciation du coup d’Etat et la demande du retour du président Hadi
– le lancement dans la nuit du 25 mars 2015, d’une opération militaire
insurgés Houthis du Siège du Gouvernement,
par les Houthis,
par le Conseil de Coopération du Golfe regroupant l’Arabie saoudite, Oman,
le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Qatar ; de même, le
Secrétaire Général des Nations unies, Ban Ki-Moon, dénonce le coup
d’Etat.
aérienne appelée Opération Tempête Décisive, sous la direction de l’Arabie
Saoudite, par une coalition d’une dizaine de pays arabes
sunnites regroupant les pays du Conseil de Coopération du Golfe (Arabie
saoudite, Bahreïn, Qatar, Koweït, Emirats Arabes Unis), à l’exception
d’Oman, qui a déclaré opter pour une résolution pacifique et négociée du
conflit. Quatre autres pays arabes, à des niveaux parfois symboliques :
Jordanie, Maroc, Égypte, Soudan.
Les Etats Unis participent à l’Opération Tempête Décisive au niveau du
renseignement et du commandement des frappes aériennes. Quant au Sénégal, il ne
participera pas formellement à la coalition, au vu des déclarations faites par ses
Autorités, ses troupes devant se positionner en territoire saoudien, pour participer à
la défense de celui-ci au cas, où il serait menacé. Signalons que, à ce jour, les
opérations menées par la coalition arabe sont exclusivement aériennes.
Il est à noter que divers pays de tradition sunnite (totalement ou partiellement) ont
décliné courtoisement la demande des pays du Golfe à prendre part à la coalition ; il
s’agit du Pakistan, de l’Algérie, de la Tunisie, de la Turquie, de l’Irak et du Liban.
Pourquoi les pays du Golfe ont-ils pris parti contre l’insurrection houthi ?
Le soutien des pays du Golfe au pouvoir légitime est, à la fois, d’ordre juridique,
géopolitique et religieux :
– Les forces houthi ont pris le pouvoir par la force, à la suite d’une
– Par ailleurs, pour celle-ci et surtout pour les pays développés et les pays
– L’Arabie Saoudite a avec le Yémen une frontière commune de 1458 km. Elle
insurrection armée ; il est de coutume pour la communauté internationale
de soutenir la légalité constitutionnelle ; la prise par la force du pouvoir par
les Houthis n’a pas fait exception, elle est condamnée sans équivoque par la
communauté internationale.
arabes, le Yémen a une position stratégique fort importante, pour le trafic
maritime des marchandises et du pétrole. En d’autres termes, le corridor
maritime séparant la péninsule arabique de l’Afrique est vital pour les
grandes puissances, comme pour les pays riverains.
ne veut et ne peut accepter, au nom de la défense de ses intérêts vitaux, un
gouvernement hostile dans ses flancs ; aussi, quels qu’en soient le prix et
les risques, elle entend empêcher l’installation au Yémen d’un
gouvernement houthi hostile et, de surcroît, non constitutionnel ;
– Elle ne veut non plus et surtout, en tant qu’un des principaux leaders des
pays de tradition sunnite, prendre le risque de laisser s’installer dans sa
zone d’influence immédiate un pouvoir de tradition chiite, donc à priori
favorable à l’Iran ; d’après les connaisseurs du monde arabo-musulman, ce
serait un précédent lourd de risques, pour l’influence du royaume wahabite
dans le monde arabo-musulman. Nul n’ignore que l’Arabie Saoudite et
l’Iran sont des rivaux politiques et théologiques pour le leadership du
monde musulman.
– Si les Chiites ne représentent que 10 à 15% de la population du monde
musulman, ils sont présents dans la quasi-totalité des pays arabes et sont
même majoritaires dans certains (Irak, Bahreïn par exemple) ; De surcroît,
dans le monde arabo-musulman les pouvoirs sont sunnites, sauf en Irak,
depuis la chute de Saddam Hussein. Cette donne géopolitique ne peut
qu’accroître la crainte réelle ou supposée des pays arabes du Golfe de voir
dans la prise de pouvoir par les Houthis les prémisses d’une stratégie
d’encerclement iranienne et une menace à leur souveraineté et à leur
sécurité.
Pourquoi cette rivalité politique et religieuse entre Chiites et Sunnites ?
Cette rivalité est d’abord, une vieille rivalité entre Arabes et Persans ; elle est
ensuite entre Sunnites et Chiites ; elle est aujourd’hui politique et religieuse ; elle
est presque aussi vieille que l’Islam, parce que née dès les premières heures de la
succession du Prophète Mouhammad (PSL), suite aux désaccords, différends et
même batailles qu’ont connus certains de ses Compagnons.
Brièvement, disons les Sunnites se réclament de la Sunna, la Tradition du
Prophète. Ils reconnaissent les quatre Califes Orthodoxes, tels qu’ils se sont
succédés : Aboubakar as Sadik, Omar ibn al khatab, Ousmane ibn Affân, Ali ibn
Abi Talib
Quant aux Chiites, ce sont les partisans exclusifs de Ali, cousin et gendre du
Prophète, père de ses deux petits-enfants, Hassan et Houssein ; pour les Chiites,
Ali, membre de la famille du Prophète, est la meilleure source de connaissance du
Coran et de l’Islam, donc le meilleur successeur possible du Prophète de l’Islam.
De ces désaccords, est née une série d’épreuves pour la communauté musulmane ;
celles-ci se poursuivent jusqu’ici et, de fait, entretiennent la rivalité politique et
religieuse entre les deux puissances régionales musulmanes, l’Arabie Saoudite et
l’Iran.
Quelle est la position de la Communauté Internationale ?
La Ligue Arabe, bien évidemment, soutient et légitime l’opération aérienne arabe
destinée à stopper la prise du pouvoir par les insurgés houthis.
L’Organisation de la Conférence Islamique, par la voie de son Secrétaire Général,
est du même avis. Mais, elle n’a pas tenu de sommet sur la question, pour donner
plus de légitimité à ce soutien. L’Iran étant un membre éminent de cette
organisation, il faut reconnaître qu’un tel sommet n’aurait pas été facile.
Les Nations Unies condamnent également et avec vigueur l’insurrection houthi.
Le Conseil de Sécurité a même adopté une résolution sanctionnant les chefs de la
rébellion, décidant d’un embargo sur les ventes d’armes et demandant aux
insurgés de se retirer de a capitale Sanaa. Les Nations Unies condamnent
également les bombardements de la coalition arabe sur les populations civiles et
les considèrent contraires au droit international.
Pris individuellement, les pays ont des positions diverses et variées. Chacun a
adopté une position, à l’aune de son appréciation de la situation, de ses alliances
et de ses intérêts politiques et économiques immédiats et lointains.
Ainsi, les Etats-Unis et l’Europe, conformément à leur position traditionnelle,
soutiennent leurs alliés arabes du Golfe. Les Etats Unis affichent même un soutien
militaire, au niveau du renseignement et du commandement des opérations
aériennes. L’Europe n’a pas reconnu d’implication militaire dans le conflit.
Des pays africains, comme l’Egypte, le Maroc et le Soudan participent à la
coalition. Le Sénégal affiche une position plus nuancée ; il ne participe pas à la
coalition, mais envisage de prendre part à la défense du territoire saoudien, au cas
où il serait menacé.
L’Iran, qui n’est jamais insensible à la situation politique de pays où vivent des
Chiites, dément pourtant, sans convaincre les pays arabes du Golfe, tout soutien
militaire aux Houthis. Il appelle à une solution pacifique et négociée du conflit.
La Chine et la Russie, en appelant également à une solution pacifique et négociée
du conflit, semblent pencher sans surprise du côté de l’Iran. Il est par conséquent
improbable que le Conseil de Sécurité des Nations Unies puisse légitimer
l’Opération Tempête Décisive.
Voici quelques éléments factuels pouvant permettre à chacun d’avoir une certaine
compréhension des tenants et des aboutissants de ce conflit encore confiné au
territoire yéménite.
Mamadou SENE
Membre Fondateur
du Club Travail et Vertu
18/05/2015